Du monastère de Zwegabin à la forêt de de Pa Auk
Fraichement débarqués en Birmanie, nous ne nous étions pas assez organisés pour dormir au monastère en haut du mont sacré Zwegabin car nous ignorions que c’était possible.
Après un léger dénivelé de 723m nous profitons d’un coucher de soleil in extremis et d’un modeste repas à la bougie avant de redescendre par une jungle obscure beaucoup plus hostile qu’à la montée, se faisant la promesse de parvenir à dormir dans un tel endroit prochainement, pour l’expérience.
Une aubaine car la prochaine page du Lonely Planet nous indique que non loin de la ville de Moulmein se trouve le plus grand centre de méditation d’Asie du Sud-Est.
Situé au coeur de la forêt de Pa-Auk, il est écrit que le gîte et le couvert sont offerts aux étrangers de passage. Sans plus de détails. Nous n’en avons pas besoin et nous le voulons bien alors demain, nous irons dormir dans ce monastère.
Après une intense négociation comme à notre habitude, un tuk-tuk nous emmène au lieu dit. Nous nous enfonçons alors dans la forêt jusqu’à une sorte de village étrangement calme.
L’arrivée à Pa Auk
Nous ne savons pas si nous sommes au bon endroit car plusieurs chemins traversent ce grand bois.
Un étrange érudit occidental aux grandes dents vient alors nous rassurer. Il nous informe qu’il faudra attendre un moine bien particulier, le seul qualifié pour nous accepter une nuit au monastère. Qui sait combien de temps cela durera mais maintenant que nous sommes là, attendons l’arrivée du chef des moines.
Comme nous, notre chauffeur ne savait pas non plus dans quoi il s’embarquait. Et le voilà coincé à attendre, ne pouvant nous abandonner au milieu de la forêt.
En supposant que nous passerons la nuit ici, on peut être sûr qu’il ne viendra pas nous chercher demain matin. Ce qui est bien la seule chose que l’on sait à l’heure actuelle.
Un premier moine nous approche. Présentations faites, nous lui demandons ce qui a pu le pousser à venir s’installer ici. Il nous répond alors avec tout le sérieux d’un moine: « Ce n’est pas moi qui ai choisi, c’est mon karma ».
Ambiance. Qui sait comment finira la nuit. Si seulement a t’elle une fin.
La lumière du jour s’enfuit lentement mais surement, tout comme notre marge de manoeuvre pour revenir en arrière.
La psychose commence peu à peu à s’installer et peut être resterons nous coincés au milieu de cette forêt à tout jamais. Mais nous sommes fous, nous sommes Bornes To Be Wild, et nous tentons notre chance.
La rencontre avec l’élite
Après un tour de cadran notre nouveau chef arrive enfin. Il se dirige vers nous d’un pas lent et régulier, mains dans le dos et petites lunettes de sagesse au bord du nez.
Deux d’entre nous sont invités à entrer chez lui pour passer un interrogatoire.
Anton et Jeremy se dévouent pendant que Claire et moi essayons d’écouter par la fenêtre ce qui peut bien se dire à l’intérieur.
La lumière est allumée, je devine des voix mais ne constate personne dans la pièce. Je suppose donc que tout le monde est assis par terre et que toute chaise est interdite dans le village, ce qui commence plutôt bien pour un amoureux des belles chaises.
Le debrief
Anton ressort pour un premier debriefing de la situation. Il nous annonce que le moine gardera nos passeports pour la nuit si nous comptons toujours rester. Plutôt étrange pour un endroit gratuit où nous n’avons pas même loué des scooters, ce qui n’est toutefois pas possible entendons le bien.
On espère que Jeremy resté seul à l’intérieur avec Maître Bouddha ne perdra pas la tête en attendant seul notre décision.
Claire quant à elle ne pourra pas rester dans le quartier des hommes. Elle devra loger autre part dans cette forêt dont nous nous rendions petit à petit prisonniers. Oui, nous venons d’apprendre qu’il y a des quartiers pour les hommes et d’autres pour les femmes.
La décision repose sur elle seule de bien vouloir rester sans personne au fin fond de la Birmanie, au risque de mourir ou de se transformer mais c’est l’âme aventurière qu’elle accepte le pari ou plutôt, relève le défi.
Sans aucun moyen de communication nous convenons de nous retrouver à 9h devant l’entrée principale du site. La forêt est grande et il serait difficile de s’y retrouver. Nous regardons notre chauffeur disparaître dans la nuit noire avec notre compagnon. Il semble soulagé d’avoir enfin pu tourner sa clé. Pour nous les dés sont jetés.
Le début de la fin
Livrés à nous mêmes le programme nous est donné. Nous signons une feuille stipulant plusieurs règles, dont une que l’on retiendra particulièrement : l’interdiction de la cigarette sur l’ensemble de la zone. Dans un pays à moins d’un euro le paquet, c’est peu dire qu’on a le briquet qui nous titille un petit peu.
La méditation quant à elle est obligatoire et elle se pratique à heure précise. Nous sommes d’ailleurs supposés avoir déjà commencé. C’est donc après avoir dû saluer non sans malaise une grande statue de Bouddha que nous nous exécutons à la méditation dans le salon/la grande pièce vide de notre maître.
Le début de la faim
Il est bientôt 23h et nous attendons l’heure du dîner depuis déjà deux bonnes heures. Nous essayons de nous concentrer pour ne pas rire dans le silence. Pas si facile de garder son sérieux dans de telles circonstances. Mais nous comprenons vite que le gong du repas n’arrivera jamais.
En effet, les moines ne se nourrissent qu’une fois dans la journée, le matin. Tout confort étant lui aussi proscrit, nous sommes donc assis là par terre et le moindre mouvement de notre part ferait grincer le plancher, susceptible de briser le profond état de sérénité dans lequel notre mentor est plongé. La fatigue nous guette.
Le sol est dur et il est très difficile de trouver une position/solution aux fourmies venues endolorir nos muscles.
Rester de marbre pendant plusieurs heures sans bouger et à ne rien penser n’est pas la plus simple des choses pour nous, anciens cancres professionnels reconnus perturbateurs par l’éducation nationale.
C’est donc replongés dans un système écolier fondé sur le respect des règles que l’on prend tout ceci pour une sorte de reconversion. Afin d’éviter les fou rires nous évitons au maximum de croiser nos regards et nous fermons les yeux, espérant que Claire n’ai pas à subir le même sort.
Pendant ce temps là, à l’autre bout de la forêt
Voilà 30 minutes que mon chauffeur de tuk-tuk m’a déposée à ce qui semble être le quartier des femmes. Du moins je l’espère. Moi, mes cheveux détachés jusqu’à la taille, mon short et mon pistolet à eau de compétition, on est comme un peu perdus au milieu de toutes ces jeunes filles en toge rose et au crâne rasé qui transportent des piles de livres de prière.
En plus d’être un peu mal à l’aise, je commence à avoir sérieusement faim. Cela doit se voir sur mon visage car une femme s’approche de moi et me tend une pomme. Non sans immédiatement me rappeler de la sorcière de Blanche Neige ma confiance bat en retraite, mais comme j’ai le ventre vide j’accepte l’offre en espérant que des nains viendraient me sauver s’il devait y avoir un problème.
Quelqu’un vient finalement me chercher et m’installe dans une chambre qui ressemble étrangement à une cellule de Guantanamo. Quatre murs blancs défraichis, un tapis de sol, un robinet et une petite pièce lugubre qui semblerait être une une salle d’eau.
J’y fais la rencontre de ma colocataire, une malaisienne venue méditer quelques semaines dans le monastère avec son mari. Elle semble aussi surprise que ravie d’avoir de la visite. Epuisée j’esquive habilement l’invitation à la méditation nocturne et préfère entreprendre une petite douche à l’aide du sceau et du robinet situé à hauteur de mes genoux.
Accroupie dans le noir je m’asperge d’eau glacée en serrant les dents. L’apogée du bonheur arrive au moment où j’aperçois à mes pieds un cafard mi rat mi lion. Le genre à se faire une place dans un Guiness Book. Bref, une sournoise bestiole que je ne pourrais même pas cacher dans la paume de ma main.
Enfer, horreur et apocalypse, je ferme la porte et je me réfugie sur ma paillasse de nonne mais ce rescapé de Tchernobyl ne sera pas bien long à venir m’y rejoindre. Je le soupçonne d’être la réincarnation d’un moine totalitaire venu me punir de ne pas avoir assisté à la méditation du soir.
J’ai bien envie de l’écraser mais tuer un être vivant dans la religion bouddhiste est un pêché. En réalité je n’ai simplement pas le courage de m’en approcher à moins d’un mètre.
Ma voisine de cellule revient de sa séance de méditation pile à temps et je réussis de me débarrasser du cafard de Fukushima après de nombreux subterfuges. Elle m’en apprend un peu plus sur les règles du monastère. A savoir méditer, nourrir les moines, méditer, ranger sa chambre, méditer, dormir, méditer, et recommencer. Tout un programme !
Je me marre toute seule à imaginer les garçons forcés à méditer et je me félicite d’avoir pu esquiver la séance nocturne.
Ma nouvelle copine m’explique qu’elle aime le fait de pratiquer la médiation mais qu’elle s’ennuie clairement dans ce mode de vie. Drôles de vacances tout de même.
Elle et moi discuterons une bonne partie de la nuit, de tout et de rien, de nos passions, de notre culture, de nos amours, si bien que je finirais par en oublier le cafard venu me voler mon âme, et trouver le sommeil quelques heures.
De retour au camp des hommes
Je regarde minuit s’afficher sur l’horloge hypnotique accrochée devant nous. A force de l’observer je commence à bien la connaître. Le temps prend son temps mais soudain notre prêcheur semble sortir d’un semi sommeil. Il bredouille quelques mots à propos d’une tomate. On ne comprend pas tout mais il finit par nous dire qu’il est maintenant l’heure de dormir et il s’allonge subitemment à l’horizontal.
Extinction des feux
Un peu déboussolés on lui demande s’il faut tout de même éteindre la lumière ou si l’on doit rester là. Il nous dit qu’une autre pièce nous attend s’il l’on ne veut pas rester avec lui. Prétendant au respect de son sommeil on se retire alors dans une autre pièce vide où l’on dormira au sol. Ceci n’a plus d’importance car on retrouve enfin un semblant de liberté, celui de pouvoir chuchoter même s’il n’y a pas de porte.
Le problème de la faim n’étant pas encore réglé, je prends soin de sortir discrètement une boite de brioche de mon sac. Quand je dis boite, c’est bien boite et non doux sachet de soie. Une magnifique boite en plastique rigide comme il ne s’en fait plus, fermement scellée d’agrafes à intervalles proches et régulieres.
Comme rien n’arrête un homme qui a faim, j’entreprends de les faire sauter une à une au risque de faire raisonner notre tentative de repas nocturne jusqu’aux oreilles de notre hôte. On imagine bien qu’il nous ferait surement subir le châtiment suprême pour un tel blasphème, personne n’ayant jamais manger de nuit dans cette silencieuse maison éloignée de toute civilisation.
Nous sommes en zone rouge mais heureusement Jeremy a mal à la gorge. Il tousse en parfaite synchronisation pour couvrir le bruit du plastique froissé à chaque saut d’agrafe. Discretion assurée, boîte dégrafée, c’est un franc succès !
Notre repas terminé je m’éclipse à l’extérieur pour une cigarette de l’interdit. Elle est aussi bonne qu’après un long courrier. Tel un espion en mission, je suis là, tapis dans l’ombre, retenant ma respiration à l’abri des moines noctambules qui déambulent à travers la forêt.
Nous pouvons enfin dormir, sur le plancher, sans peur de ne pas se réveiller, ce qui est toutefois impossible car notre gourou viendra nous sortir du sommeil pour la méditation nocturne à 4h.
Le réveil du geôlier
« Meditation ! Meditation with me ! ». La tentative de l’enfant qui geint à sa mère qu’il ne peut pas aller à l’école parce qu’il est malade me traverse l’esprit mais je n’ai pas le choix. De toute façon il n’y a aucun oreiller pour me retenir.
Retour donc à une séance infinie de silence, d’attente et d’introspection. Je me questionne sur le secret de ces disciples pour faire autant le vide dans leur esprit, ce dont à quoi je ne trouve pas de réponse.
Anton réussira à finir une partie de sa nuit adossé au mur en position bien imitée de concentration, tandis qu’on eut l’autorisation avec Jeremy de terminer la séance debout, nos os n’en pouvant plus. Mais comme après une heure sans marcher, cette position s’avéra tout aussi compliquée que toutes les autres tentatives.
L’heure du petit-déjeuner
C’est en position de flamant rose que les coups de 6h sonnent. On apprend avec bonheur l’heure du petit-déjeuner, qui ne se fera pas dans le salon nous l’imaginons bien. Un gong retenti au loin en guise d’appel général et notre nouveau père nous donne rendez vous chez lui dans une heure.
Lâchés dans l’inconnu, il ne sera pas bien compliqué de trouver le réfectoire en suivant l’afflux de moines sur un petit kilomètre. La distance est bien trop courte pour dégourdir nos jambes endolories par ces heures d’immobilité mais c’est déjà çà.
Parfaitement fondus dans la masse, nous y voilà. L’endroit est pesant mais nous sommes heureux de découvrir un nouvel environnement. On nous indique que l’on doit prendre des plateaux, gobelets et couverts en métal pour attendre au sous sol dans une grande cantine quasiment déserte. Ambiance.
Quand les boulets font des bourdes
Quelques moines attendent en paix dans le réfectoire. A moins qu’ils ne dorment. C’est encore l’aurore et c’est difficile de savoir s’ils méditent ou non derrière leurs yeux fermés.
Anton écrase non sans délicatesse un moustique alors que le programme bouddhiste interdit pourtant de tuer toute forme de vie. Ce que l’on ne manquera pas de nous rappeler.
Pour mieux réussir notre entrée, je viens briser le silence en cognant mon amas d’ustensiles contre un poteau, faisant alors raisonner au sol une mélodie fracassante. Je voulais simplement m’asseoir et je me sens un peu perdu d’être là. Un peu comme si ce silence me faisait perdre l’équilibre.
Quelqu’un s’approche et mon rythme cardiaque augmente anormalement. Pas d’inquiétudes, on vient juste nous informer que nous pouvons monter faire la queue et remplir notre bol. On se fera servir chaque aliment différent par une femme différente. Un moine ne se nourrit pas. Il se fait nourrir.
Rencontre avec des babtous fragiles
Attendant parmi quelques moines curieux de nous voir ici, on aperçoit au loin quelques blancs pâles et solitaires, certainement pas encore habitués au repas unique journalier de ce havre de paix.
Savourant ce met copieux et plutôt bon, un curieux occidental timide mais apparemment très heureux d’entendre un langage familier vient s’installer à la table voisine.
Que pouvait-il bien faire là si jeune ?
« Ma vie n’avait plus vraiment de sens avant, alors j’ai entendu parler de cet endroit ».
Ah, d’accord.
Forcé par lui même de rester mais nostalgique de liberté, il se donne encore 8 mois avant de quitter les lieux avec une guérison en poche. On ne se donnera pas plus de 8 minutes.
Sur le chemin du retour on remarque une petite maison en construction. Le temps est long et à l’abri des regards, on s’y échappe le temps d’une cigarette frauduleuse.
On se demande qu’est-ce que Claire pouvait bien faire à ce moment même ? Allions nous survivre à une dernière séance de méditation sur ce parquet luisant dont on connait parfaitement la couleur, la texture, pour ne pas dire l’odeur ?
Le plus dur était déjà fait et c’est le moment d’y retourner pour quelques petites heures avant une éventuelle liberté.
Après la transe la délivrance
Comme si rien ne s’était passé, comme si le réfectoire n’avait jamais existé, on se rassoit face à notre nouveau dieu, attendant une résurrection dans le monde des vivants tels des enfants qui se languiraient d’une sonnerie de récréation pendant un cours bien trop long.
D’une divine apparition, une nouvelle recrue venue du Laos vint mettre un terme à notre dernière prière. Trop enjoué de faire passer un nouvel interrogatoire, notre geôlier nous retire les chaînes de la sérénité.
Le temps d’une douche et de récupérer nos passeports, nous partons jusqu’à l’entrée du site pour retrouver notre amie à l’heure prévue.
La ponctualité au meilleur de sa forme (on se demande bien pourquoi), nous arrivons en premier.
Une disparition inquiétante au camp des femmes
L’heure tourne et toujours pas l’ombre de notre compagnon. Plusieurs scénarios se dressent alors.
Peut être n’a t-elle pas supporté la solitude et elle s’est échappée pendant la nuit ?
Peut être est-elle retenue prisonnière quelque part dans ce camp ?
Peut être qu’elle va finalement arriver – la folie l’ayant prise – nous annoncer la tête rasée qu’elle à trouvé un nouveau chez soi ?
Quoi qu’il en soit cela fait déjà bientôt deux heures que nous attendons, et elle est ni au quartier des femmes ni dans sa chambre d’après les soeurs de la zone.
L’inquiétude nous prend et c’est presque prêts à partir en commando que nous l’apercevons enfin, toute joyeuse. Oui car pendant ce temps là à l’autre bout de la forêt, Claire nourrissait des centaines de moines en file indienne.
Chaque personne ayant un rôle bien précis, le sien aura été de jeter une pincée de sel dans chaque bol après que ces derniers furent peu à peu remplis de nourriture par d’autres femmes disciples.
En effet, vivant essentiellement de dons les moines ne peuvent se nourrir d’eux mêmes.
Je peux donc ranger ma capture écran photo/avis de recherche de Claire avec son watergun dans ma poche avant que quelqu’un nous appelle un taxi.
Nous laissons enfin cet endroit derrière nous avec l’impression d’y avoir passer plusieurs semaines, bien convaincus que la méditation intense n’est définitivement pas faite pour nous, ce qui n’enlève rien à la bonté et la gentillesse du reste du peuple birman, ni à l’ironie de ce texte.
Envie d’une retraite spirituelle ?
Si la méditation intensive vous intéresse et que vous souhaitez revenir à l’essentiel, une retraite au monastère de Pa Auk peut vous intéresser. N’hésitez pas à nous contacter en mp pour une candidature ! 😉